J’avais dix-huit ans
Tout juste et quittant
Ma ville natale
Un beau jour, o gué
Je vins débarquer
Dans la capitale
J’entrai pas aux cris
D'"A nous deux Paris"
En Ile-de-France
Que ton Rastignac
N’ait cure, Balzac !
De ma concurrence
Gens en place, dormez
Sans vous alarmer
Rien ne vous menace
Ce n’est qu’un jeune sot
Qui monte a l’assaut
Du p’tit Montparnasse
On n' s'étonnera pas
Si mes premiers pas
Tout droit me menèrent
Au pont Mirabeau
Pour un coup de chapeau
A l’Apollinaire
Bec enfariné
Pouvais-je deviner
Le remue-ménage
Que dans mon destin
Causerait soudain
Ce pèlerinage?
Que circonvenu
Mon cœur ingénu
Allait faire des siennes
Tomber amoureux
De sa toute pre-
Mière Parisienne
N’anticipons pas
Sur la berge en bas
Tout contre une pile
La belle tachait
D' fair' des ricochets
D’une main malhabile
Moi, dans ce temps-là
Je n' dis pas cela
En bombant le torse
L’air avantageux
J'étais à ce jeu
De première force
Tu m' donnes un baiser
Ais-je proposé
A la demoiselle
Et moi, sans retard
J' t’apprends de cet art
Toutes les ficelles
Affaire conclue
En une heure elle eut
L’adresse requise
En échange moi
J' cueillis plein d'émoi
Ses lèvres exquises
Et durant un temps
Les journaux d’antan
D’ailleurs le relatent
Fallait se lever
Matin pour trouver
Une pierre plate
On redessina
Du pont d’Iéna
Au pont Alexandre
Jusqu'à Saint-Michel
Mais à notre échelle
La carte du tendre
Mais c'était trop beau
Au pont Mirabeau
La belle volage
Un jour se perchait
Sur un ricochet
Et gagnait le large
Elle me fit faux bond
Pour un vieux barbon
La petite ingrate
Un Crésus vivant
Détail aggravant
Sur la rive droite
J’en pleurai pas mal
Le flux lacrymal
Me fit la quinzaine
Au viaduc d’Auteuil
Parait qu’a vue d'œil
Grossissait la Seine
Et si, pont d' l’Alma
J’ai pas noyé ma
Détresse ineffable
C’est qu' l’eau coulant sous
Les pieds du zouzou
Etait imbuvable
Et qu' j’avais acquis
Cette conviction qui
Du reste me navre
Que mort ou vivant
Ce n’est pas souvent
Qu’on arrive au havre
Nous attristons pas
Allons de ce pas
Donner, débonnaires
Au pont Mirabeau
Un coup de chapeau
A l’Apollinaire